Yann Cléry, un artiste accompli

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Fier d’être Guyanais : Pourriez-vous vous présenter pour les lecteurs de F.E.G.

Yann Cléry, né à Cayenne en 77.

F.E.G. : Pourriez-vous nous expliquer vos débuts, ce qui vous a mené à la musique en quelques mots ?

J’ai commencé la flûte à bec à 5 ans, mes parents m’en avaient acheté une et je jouais tout et n’importe quoi avec. Voyant que je me débrouillais bien tout seul, ils ont décidé de me mettre au conservatoire où je suis rapidement passé à la flûte traversière.

F.E.G. : Est ce que vous écrivez vos chansons ? Ou comment choisissez-vous les textes que vous mettez en musique ?

Oui j’écris mes textes, mais pour l’album MOTOZOT je souhaitais de la matière ‘brute’, j’ai donc puisé dans les textes des poètes de la Négritude. J’ai mis en musique la verve d’Elie Stephenson et de Léon-Gontran Damas. A cela s’ajoutent des Révéyé (petites litanies) déclamés par le conteur Franck Compper et des textes qu’il a lui même écrits pour l’album.

F.E.G. : Pour celles que vous écrivez, est-ce que vous considérez que ce sont des chansons, des slams ou encore des poésies ?

Le travail de mise en musique des textes s’est orienté naturellement vers du slam et un flow hip hop.

F.E.G. : Et d’où vous vient l’inspiration ?

L’inspiration vient directement de la Guyane et de son patrimoine si dense. Lors de mes voyages chez les amérindiens, chez les bushinengés, en forêt ou sur le littoral j’ai composé plusieurs morceaux. Chaque retour au pays est source d’inspiration, j’y reviens 3 à 4 fois par an pour former les jeunes guyanais à la MAO (Musique Assistée par Ordinateur).

F.E.G. : Comment définissez-vous votre style musical ?

On peut parler de World Music, même si ça reste de la musique guyanaise ouverte au monde. Mais ça n’existe pas dans les bacs de la Fnac !

F.E.G. : Est ce que vous composez vos chansons ? 

Oui, je compose tout moi-même.

F.E.G. : Quels sont vos influences musicales ?

J’ai été nourri à la musique classique, à la mazurka, au reggae, au jazz, à la pop dans mon enfance. Mes parents avaient des vinyles très éclectiques. Ensuite j’ai eu une période très rock, voire hard rock. Dans le même temps j’écoutais du rap. Et puis à ma majorité j’ai compris le jazz, ça a été un choc. C’est une musique qui nécessite la bonne porte d’entrée, et elle est différente pour chacun.

F.E.G. : Est-ce important pour vous d’inclure des sonorités de notre folklore dans vos morceaux ?

L’album MOTOZOT est centré autour des tambours de la tradition guyanaise. C’était une volonté de ma part, en forme d’hommage. C’est un travail très spécial qui a nécessité beaucoup de recherche, d’écoute, de lecture et d’apprentissage. Par exemple il était essentiel pour moi d’apprendre à jouer les rythmes au tambour pour les saisir, les cerner et être authentique. De même la présence du conteur, comme un fil rouge dans l’album était essentielle pour moi, comme un moyen de basculer de l’autre côté du miroir.

F.E.G. : S’agit-il d’autoproduction ?

Oui, l’album MOTOZOT est une autoproduction soutenue par la SACEM. Le label s’appelle WHY Compagnie. Je l’ai monté il y a quelques années dans un souci d’indépendance.

F.E.G. : Avez-vous déjà fait partie d’un groupe traditionnel ?

Oui, j’ai accompagné le groupe Tchò Péyi sur quelques dates et j’ai récemment enregistré un morceau traditionnel de Kasékò avec la grande Orlane Jadfard.

F.E.G. : Vous jouez d’un autre instrument que la flûte ?

Oui, de la corde vocale : je chante.

F.E.G. : Quelles sont vos collaborations (autres chanteurs ou producteurs …)/ scènes/ podiums/ festival les plus significatifs selon vous ?

J’accompagne la chanteuse capverdienne Mo’Kalamity depuis 10 ans, nous avons beaucoup voyagé dans le monde. La musique m’a permis de couvrir tous les continents. Des souvenirs marquants ? Le festival de Musiques du Monde de Siñes au Portugal où on ne voyait même pas où s’arrêtait le public ! J’ai joué aussi dans un festival international de jazz qui se tenait dans l’auditorium de la Cité Interdite à Pékin. L’après-midi nous avons eu l’autorisation de nous balader à l’intérieur (sous surveillance) Il n’y avait aucun visiteur, l’entrée est bien comme son nom l’indique : interdite !

F.E.G. : Que signifient les sigles qui entourent votre nom sur votre album ?

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C’est un sigle qui a été inventé par un graphiste à ma demande pour symboliser l’Affranchissement sous toutes ses formes. Affranchissement intellectuel, bien sûr, mais aussi émancipation et fierté pour notre mélanine. Aujourd’hui, le Noir a tout pour être fier. Je me suis rendu compte au cours de mes lectures (notamment Aymé Césaire et Cheikh Anta Diop) qu’on nous a appris à désapprendre notre histoire, à la minimiser (quand elle n’est pas tout simplement évincée) alors qu’elle est ô combien riche. Ce sigle est un appel au retour aux sources. Un moyen pour moi de ne pas oublier.

F.E.G. : le clip NEG MARRON, quelle merveille !! Comment vous est venue l’idée de ce clip ? Vous vous êtes fait aider par un chorégraphe ?

L’idée m’est venue en discutant avec Cécilia Conan la réalisatrice, rencontrée lors d’un de mes concerts à Paris. Nous avons pris le temps de discuter, j’avais envie de mouvement, de couleurs précises et d’espace. Le jour du tournage, je me suis fait accompagner par une chorégraphe : je dansais et elle corrigeait les détails, la position des mains, le port de tête, la direction du regard, etc… On ne s’improvise pas danseur !

F.E.G. : Vous êtes également professeur et dispenser des masters classe d’improvisation musicale, c’est original. En quoi cela consiste ?

J’ai commencé ce travail de formation des jeunes de Guyane dans le souci de rapporter au pays les compétences et le savoir acquis à l’étranger et dans l’hexagone. Dans le monde et particulièrement en Afrique, on parle souvent de la « fuite des cerveaux ». Je suis partisan de leur retour. Avec le soutien de la DAC et de la CTG, j’ai monté il y a 3 ans un programme de formation qui me permet de me déplacer partout en Guyane avec du matériel informatique (ordis, pianos, casques, enceintes…) très mobile et de me rendre dans des zones blanches (Apatou, Camopi..) ou des centres pénitentiaires. Je dispense également des cours d’orchestration et d’improvisation avec à la clef un concert de restitution.

F.E.G. : Que pensez- vous de la nouvelle vague de chanteur guyanais ?

Il y a un réel potentiel qui ne demande qu’à être exposé. Je pense à Mahova Bladas, Senuka ou encore Sista Sonny.

F.E.G. : Avec qui voudriez-vous une collaboration dans le futur ?

J’ai planifié une création musicale et visuelle avec Yannick Théolade (fondateur du Djokan) en 2019, et j’aimerais beaucoup continuer ma collaboration avec Orlane Jadfard. Denis Lapassion souhaite que j’enregistre sur son prochain album, ce qui sera un vrai plaisir !

F.E.G. : Racontez-nous un moment marquant de votre carrière

Très récemment j’ai été invité par Régine et Denis Lapassion à jouer un morceau avec eux à la soirée Piano on the Green à Rémire. J’y ai rencontré le batteur Félix Sabal et le bassiste Etienne Mbappé qui les accompagnaient : ça a été un vrai choc. Jouer avec des légendes vivantes aussi humbles est une vraie leçon en plus d’être une claque musicale.

F.E.G. : Quels sont vos projets pour 2018 ?

J’ai joué au Mémorial ACTe en Guadeloupe (27/10) et à Paris au centre Barbara FGO le 31 octobre. Nous étions aussi à La Clef à St Germain en Laye le 17 novembre. Parallèlement je compose les morceaux de mon prochain album, et j’ai prévu un voyage en Guyane dans le cadre de mes formations musicales, direction Régina et Camopi. Nous allons également finir la tournée du dernier album de la chanteuse Mo’Kalamity.

F.E.G. : Que pensez-vous de la situation actuelle en Guyane ? Il y a une recrudescence de la violence …

La situation est très préoccupante en Guyane. Après l’énorme espoir suscité en mars 2017, le sentiment de cohésion et d’unité qui s’est ressenti jusqu’en métropole s’est peu à peu estompé, laissant place à l’amertume. Les résultats des Etats Généraux tardent à avoir des effets visibles et l’on peut sentir une peur de l’étranger limitrophe qui se transforme peu à peu en rejet pur et simple. La manifestation publique pour chasser les squatteurs fin septembre est vraiment symptomatique d’une société qui, lasse d’attendre une réponse des pouvoirs publics, se tourne vers des solutions plus directes, qui échappent aux institutions.

Vous avez obtenu un Lindor du meilleur compositeur, quel effet cela vous fait-il ?

Ce prix est le fruit d’un travail de plusieurs années, et j’en suis très fier ! Savoir qu’on peut toucher le cœur des gens en pétrissant amoureusement et patiemment des notes de musique est le plus beau des cadeaux pour un compositeur, et cette récompense signifie que je m’y prends plutôt bien. Charge à moi de continuer dans la lignée.

 

Contact professionnel :

Bakfoul Productions / Steeve Delblond +33 6 60 07 77 70 / info@bakfoul-prod.com

Fier d’être Guyanais et vous ?

Propos recueillis par Anjie Say

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